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Le ciel sans boussole de Watson Charles ou la chronique d’un désastre annoncé

Il y a dans Le ciel sans boussole de Watson Charles une course contre la montre pour la survie. Un besoin d’être et de se sentir exister dans une société où vivre relève d’un perpétuel combat. Ce premier roman annonce le vent d’un avenir prometteur pour ce poète qui, avec ou sans boussole, voit toujours Plus loin qu’ailleurs.

À travers le récit de vie décapant de deux vieux amis, le natif de la Croix-des-Bouquets donne à voir une fresque glaçante de la lente et troublante agonie de l’Haïti contemporaine prise dans les étaux du banditisme politique et du sous-développement chronique. Dans ce pays, rien n’est donné gratuit de nos jours, même pas le sourire. Tout est perdu d’avance et se joue sur le fil du hasard. Il n’y a que le présent qui compte. Si la violence a longtemps dépassé les limites, la corruption et le mépris de l’autre sont devenus la règle d’or car chacun veut à tout prix tirer son épingle du jeu.  

Jackson et Rodrigue sont deux infortunés malmenés par la vie qui traînent leur corps et leur table de jeu là où le destin les conduit, dans les fêtes patronales, pour essayer de joindre les deux bouts. Les voilà « à parcourir les [différentes] villes du pays, à faire l’amour avec des prostituées » (p. 36) autant comme les pèlerins pour mettre un peu de soleil dans leur petite existence. On les retrouve à Belle-Fontaine pour la Notre-Dame du Mont-Carmel, ensuite à Côtes-de-Fer pour la Saint-Joseph. Au retour Rodrigue qui paraît être le plus vieux dont « le corps cache mal un épuisement inquiétant » (p. 25) succombe à un cancer. Et voilà Jackson, le jeune, qui se retrouve seul avec lui-même, sans le sou, obligé de faire face à l’inconnu et l’inattendu.   

La chronique d’un désastre annoncé

Chronique d’un pays en plein cœur de la catastrophe, Le ciel sans boussole porte la voix de tous les (vrais) Haïtiens concernés par la descente aux enfers de cette partie du monde qui, autrefois, a fait la part belle aux puissances occidentales du temps de la colonisation. Charles est sans complaisance. Il ne met pas de fard sur le visage de son pays. Il n’emmène pas le lecteur vers le sud prendre des vacances en se bronzant au soleil. Il le conduit dans les bas-fonds, dans les marchés, à l’église, à la gare de « Portail Léogâne » (p. 26) fourmillant de badauds, à la « rue des Remparts » (p. 20) avec ses relents de boue et d’immondices, devant les bâtiments des bureaux publics, tel le « centre des impôts [qui livre] des faux documents » (p. 27), à la Grand-Rue où les artistes « s’acharnent sur les ferrailles et les bouts de tôle » (p. 27) pour créer du beau, au « Champs-de-Mars » (p. 53) qui n’est plus le rendez-vous des amoureux et des lecteurs, et « dans les interminables couloirs de l’hôpital » (p. 35) qui respirent la mort pour écouter « le vacarme de la ville » (p. 25), oui cette « ville complètement étrange, saturée » (p. 27) par l’exode, la défaillance totale de l’État et surtout ce trop-plein de misère.

Le ciel sans boussole est le récit d’une Haïti nue, vraie qui émeut et bouleverse. Jackson est un homme du peuple, le vrai qui ne se lasse pas de se battre pour rester debout. Il n’a pas fait d’études. Il ne dispose pas d’assez de théories pour comprendre le mécanisme de fonctionnement de la société. Après avoir gagné à la loterie, il espérait changer sa situation, mais c’est mal calculé. Jackson ne verra jamais la couleur de « cet argent qu’il espère tant, celui qui va changer sa vie » (p. 61). Pris pour escroc, il sera arrêté et jeté en prison. Un épisode qui met fin à tous les rêves de changement de ses conditions. Son seul péché était de penser qu’il « pourrait vivre aisément si chacun ne cherchait pas son seul intérêt en pillant le pays » (p. 75). Voilà une phrase qui résume toute la situation d’embrouille de ce pays dont on dit être le plus pauvre du continent américain, mais qui n’arrête pas d’émerveiller le monde tant par la richesse de ses productions que le talent de ses créateurs.

Paru en février 2021 chez les éditions Moires, Le ciel sans boussole a eu la mention spéciale du jury du Prix Senghor la même année. Captivant en tous ses points par la finesse de l’écriture, la linéarité du récit, le livre est le portrait saisissant d’une société en proie à sa propre destruction.

Watson Charles, Le ciel sans boussole, Paris, Les éditions Moires, 2021, 134 pages.

Dieulermesson Petit Frère

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