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Pandémies et catastrophes naturelles dans l’œil de Legs et Littérature

Le dernier Legs et Littérature vient de paraître à la fin du mois de janvier 2021 sous une thématique qui est plus que d’actualité : Écritures, pandémies et catastrophes naturelles. Sous la direction des chercheurs Alma Abou Fakher de l’Institut national des langues et des cultures orientales (INALCO) à Paris et Mourad Loudiyi du Centre régional des métiers de l’éducation et de la formation de Fès-Meknès au Maroc, ce seizième numéro aborde le rapport de l’homme avec la nature, l’environnement, les épidémies et/ou les cataclysmes à travers le prisme de la littérature tout en faisant appel à d’autres disciplines scientifiques, d’où son caractère pluridisciplinaire.

Dès l’éditorial, les directeurs évoquent le problème soulevé dans le volume et invitent le lecteur à parcourir le texte. Le propos vise la mise en relation de la catastrophe et de l’épidémie avec leurs diverses représentations linguistiques et discursives. En 343 pages, les auteurs nous invitent à faire le tour de la question sur des angles divers et différentes approches. Un total de 14 textes critiques, un entretien avec le dramaturge et romancier Guy Régis Jr, deux portraits, 5 notes de lecture et 4 textes de création portant respectivement la signature de Patty, Sarita Cynthia Pierre, Jovensel Ngamaleu et Yves-Mary Fontin constituent l’ossature du volume. Il est illustré des encres de la peintre Édith Lataillade, le numéro a bénéficié du support de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants (AIEI) dans le cadre du Fonds de solidarité Covid et la Fondation connaissance et liberté (Fokal).

Dans le texte qui ouvre le volume, titré « L’écriture en temps de cataclysme : pouvoir et portée herméneutique », les éditorialistes soulèvent le problème de la vulnérabilité de l’être humain face aux catastrophes et aux pandémies et les bouleversements qu’elles entraînent à la fois dans le corps social et au niveau du corps de l’individu. C’est donc par rapport aux fréquences de ces fléaux –puisqu’elles se sont constituées comme telles –qu’ils entendent les interroger comme objets de recherche. La fréquence des fléaux est le résultat de l’action de l’homme sur la nature, la biosphère. Aussi vu la fréquence de développement des catastrophes naturelles (éruption volcanique, séisme, tsunami) et des épidémies (choléra, peste, Ebola, Covid-19, HiN1) aujourd’hui, il est d’urgence que la littérature, souligne-t-il, s’interroge sur ces phénomènes et propose des grilles pour comprendre et saisir leur complexité. L’écriture, écrivent-ils, dispose de ce pouvoir de dire »ce qui échappe à l’expression lors de la catastrophe ». Plus loin, ils poursuivent en ces termes : « D’une manière générale, les sciences humaines, en particulier la littérature ouvre la porte à des aperçus sur la manière dont les sujets, dans un corps social et dans un contexte historique donné, ont géré le traumatisme des pandémies et comment donner une valeur à un monde qui s’altère indépendamment de notre volonté ».

Les contributions émanent de divers horizons et portent sur des œuvres de créateurs ou d’auteurs haïtiens, français, égyptiens, anglais, espagnols, islamiques, ivoiriens. D’où il s’agit d’une publication très originale et prenant en compte un large éventail de points de vue. Le premier article signé Myriam Marino Ondo entend, à travers une approche textuelle, explorer un pan de l’écriture romanesque de Louis-Philippe Dalembert dans deux de ses romans : Noires blessures et Ballade d’un amour inachevé. « Effacer la vision du mal et réévaluer le discours catastrophique » serait donc l’objet de ce tableau qui met la poésie au centre. Marina Ondo évoque le séisme de 2010 qui est à l’origine « de la prolifération d’une abondante littérature de la catastrophe naturelle ». Le roman de Laurent Gaudé, Danser les ombres qui met en exergue le séisme en Haïti

De son côté Edith Perry interroge, dans son article intitulé « Sous le règne de la variole », les tensions « entre l’ordre et le désordre qui accompagne qui accompagne toute catastrophe [tout en se demandant] dans quelle mesure elle se reflète dans la représentation de l’épidémie et dans l’esthétique du roman ». Son analyse s’appuie initialement sur La Quarantaine de Le Clézio et d’autres romans de l’épidémie d’auteurs tels Daniel Defoe (Journal de l’année de la peste à Londres), Albert Camus (La peste), Jean Giono (Le Hussard sur le toit), Gabriel Garcia Marquez (L’Amour au temps du choléra) et Philip Roth (Némésis). Son hypothèse, écrit-elle dans son résumé, est de montrer que Le Clézio écrit contre d’autres récits d’épidémie. Après avoir posé d’entrée de jeu le fait que Sartre n’a jamais traité de pandémie dans son œuvre, Mohammed Ajbilou entreprend de montrer dans son papier (« Penser la pandémie avec Sartre »), en mobilisant le concept de la rareté, comment l’individu sérialisé vit dans une méfiance vis-à-vis de l’Autre. Son corpus comprend La peste écarlate de Jack London, Le Hussard sur le toit de Jean Giono, La Peste d’Albert Camus, Journal intime de Kafka et L’aveuglement de José Saramago. Nouha Yaakoubi focalise sa réflexion sur la notion d’affolement de l’imaginaire dans le roman de Vian, L’écume des jours porté à l’écran par Michel Gondry. En priorisant l’adaptation cinématographique, « l’analyse de la mise en image de l’imaginaire catastrophique métamorphosé en déconstruction dystopique chez l’auteur » devient plus facile.

En effet, chaque auteur étudie la question de la catastrophe en faisant appel à un événement particulier. Batjeni Kassoum Soro se propose d’analyser le modèle de lutte adoptée par les peuples de la Côte d’Ivoire contre le Covid-19, Samour Chenouda se concentre sur le jeu de l’humour et la satire dans les textes de prévention et de sensibilisation contre le Covid-19 en Égypte, Roberto Laghi étudie la représentation de la réalité (passé, présent) dans des poèmes parus en ligne en Italie. Qu’ils s’agissent de la misère, de la sécheresse dans Le Soleil des Scorta de Laurent Gaudé et Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain (voir article de Paul Kana Nguetse et Joël Meli Silatsa), la violence et la beauté émanant de la chute brutale de la neige laquelle allie à la fois terreur et fascination vu les procédés linguistiques utilisés par J. R.R. Tolkien dans Le seigneur des agneaux (article d’Éline de Mathuisieulx) et autres, tous les textes du volume s’inscrivent ont un seul et même fil conducteur : le regard des créateurs sur la catastrophe et la pandémie. C’est aussi ce qui fait l’unité et la cohérence du numéro.

Legs et Littérature est une publication semestrielle de l’Association Legs et Littérature (ALEL), dont l’une de leur principale mission est la promotion de la recherche en littérature francophone. Leur prochain numéro sera consacré au continent africain et paraîtra en juillet 2021.

Dieulermesson Petit Frère

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