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Incendies : entre mythes, indignité et origines

Wajdi Mouawad est né au Liban, le Pays du Cèdre. Metteur en scène et auteur de pièces de théâtre, il nous livre à travers Incendies une page d’histoire de son Liban assiégé par les forces armées israéliennes. Comment vivre et exister dans un pays miné par la guerre et les luttes fratricides ? Voilà la question que semble soulever l’auteur dans cette pièce de théâtre parut pour la première fois chez Actes Sud en 2003.

Nawal Mawan est morte. Le notaire Hermile Lebel, son ami, convoque à son bureau les deux enfants, Jeanne et Simon Marwan, et leur fait part des dernières volontés de leur mère. À la fille, elle lègue la veste en toile verte avec l’inscription « 72 à l’enclos », au garçon, « le cahier rouge » et au notaire son « stylo plume noir ». À chacun des enfants est confiée une enveloppe destinée l’une à ce père qu’ils croyaient mort et l’autre à leur frère dont ils ignoraient totalement l’existence. Une fois ce père et ce frère retrouvés et les enveloppes rendues, le notaire leur donnera une lettre qui leur confirmera cette vérité qu’ils auront eux-mêmes découverte. Une fois l’énigme résolue, et le silence brisé, « une pierre pourra alors être déposée sur m[s]a tombe/Et m[s]on nom sur la pierre gravé au soleil. »

Incendies est une pièce de théâtre qui porte sur la guerre civile libanaise, le conflit continu au Proche-Orient depuis soixante ans. C’est un cri contre les atrocités et les monstruosités des luttes fratricides et meurtrières qui ravagent cette part du continent asiatique, un appel à la paix, l’unité, au respect des droits de la personne. La violence est décrite dans toute sa laideur avec une force si vive qu’elle risque d’étouffer le lecteur et de le transformer en un véritable automate. Pas de mot pour qualifier ces instants innommables qui mettent sous nos yeux le côté vil et abêtissant de l’humain.

Inscrite dans le même registre des textes appartenant à la littérature concentrationnaire au même titre que Si c’est un homme de Levi, L’écriture ou la vie de Semprun ou La place de l’étoile de Modiano et tant d’autres, Incendies est l’histoire tragique d’une femme torturée et violée par son propre fils. C’est également une réflexion sur l’identité, la quête de soi, la découverte de l’autre et la recherche de la vérité. Mélange de fiction et de réel, le livre se veut, pour reprendre les propres mots de Mouawad, « une question de conscience, de solidarité » à tous ceux et toutes celles qui sont victimes de la barbarie israélienne, de la monstruosité douloureuse.

La pièce est d’une modernité éclatante. Alternance de voix, écriture magique, dialogues vifs, l’intrigue mise en scène à travers Incendies est très poignante. L’auteur bouscule la chronologie et fait défiler chaque image, chaque scène sous les yeux du lecteur, dans une foule d’émotions, comme les épisodes d’un film. Méthode flash-back, tantôt dans le passé, tantôt dans le présent avec des projections sur le futur, on est comme happé, saisi par une série d’événements déroutants, un monde qui échappe, à première vue, à la compréhension du lecteur.

Camouflant merveilleux et réalisme, l’absurde semble quelquefois l’emporter sur la raison et l’urgence du dire. Plus qu’un mythe, Incendies est aussi l’histoire des silences, des horreurs et des atrocités, du scepticisme et de l’insoutenable légèreté de l’être. Économie de mots, lecture fascinante, d’une grande force et d’une rare beauté, avec cette tragédie familiale, Mouawad revient sur le vieux mythe d’Œdipe en proposant, tant soit peu, un autre regard.  Entre colère, violence et pardon, entre intime, politique et social, Incendies raconte l’histoire d’un lieu, d’une langue, des visages tristes, des corps meurtris, des silences qui étouffent et déshumanisent.

MOUAWAD, Wajdi, Incendies [2003], Paris, Léméac, 2009, 176 pages.

 

Dieulermesson Petit Frère

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