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Le petit bijou de Wien Weibert Arthus

J’ai lu le dernier livre de Wien Weibert Arthus : Duvalier à l’ombre de la guerre froide. Les dessous de la politique étrangère d’Haïti (1957-1963). J’en suis sorti content et satisfait. La lecture n’a pas été du tout vaine tant le livre valait la peine d’être lu. Il est d’une rare richesse documentaire. Bien écrit. Dans une langue bien travaillée, d’un style clair et d’une écriture assez limpide. Jamais je n’ai ressenti au cours de sa lecture ce sentiment d’avoir gâché des heures pour rien comme il en est de pas mal de livres que j’ai eu beaucoup de peine à digérer lors de ces moments fous, ce plaisir qui dure que j’essaie toujours de trouver à travers les mots et les pages. Et j’ai appris bien de choses sur cette période. J’en suis parfaitement conscient. Preuve que le jury ne s’est pas du tout trompé en accordant au professeur Arthus la bourse de la société du rhum Barbancourt en 2013 pour l’achèvement de l’ouvrage.

En effet, cet essai se lit comme une chronique. Il ne s’agit pas d’une histoire romancée. Même si ce que le Dr Arthus nous donne à lire revêt un caractère narratif. L’auteur ne se contente pas de rapporter les faits comme bon nombre d’historiens traditionnels se contentent de le faire. Il s’est évertué à les analyser minutieusement à la lumière d’autres événements, du contexte politique national et international. Il s’agit bien d’une page d’histoire des relations internationales d’Haïti, car généralement, quand on parle de Duvalier, on ne voit que sa politique intérieure largement dominée par la violence, la dictature, la corruption et toutes les formes d’abus et d’exactions.

Une diplomatie instrumentalisée

Ici il est surtout question de l’influence des facteurs internationaux sur la politique de l’homme aux lunettes noires. Ce dernier est présenté comme un véritable stratège dans sa manière d’entretenir des rapports avec la France, les États-Unis, Cuba, la République Dominicaine, l’Afrique (notons toutefois qu’Haïti prend une part active au processus d’indépendance des pays africains même quand d’autres intérêts sont en jeu, (p. 228) et l’Église (qu’il soit catholique ou protestante). Lui qui n’a jamais voyagé hors d’Haïti, sauf en décembre 1959, nous apprend l’auteur, « pour signer un accord avec le général dominicain Rafael Trujillo, à Jimani, ville située sur la frontière entre Haïti et la République Dominicain » (p. 92). Par souci de conserver son pouvoir. Puisque, poursuit l’ancien journaliste de Caraïbes FM, « C’est depuis ses bureaux au Palais national que Duvalier conduit les affaires étrangères d’Haïti » (p. 92).

Au fait, Duvalier à l’ombre de la guerre froide. Les dessous de la politique étrangère d’Haïti (1957-1963) n’est pas un livre écrit à la va-vite à partir des idées reçues et préconçues. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un livre de second degré, dilué dans les discours généralement véhiculés sur ce personnage qui a pu, à partir de mille et une manœuvres se maintenir au pouvoir, en dépit des contestations et des luttes de toutes sortes pour le renverser. Issu d’une famille modeste et ayant grandi dans l’univers de sa famille paternelle, puisque n’ayant jamais connu sa mère, François Duvalier est tantôt présenté comme un homme ordinaire (avec une vie, une famille, des amours, des amis) mais aussi comme un homme dont le tempérament est d’autant difficile à cerner.  

En effet, d’aucuns n’admettent que Duvalier et ses tontons macoutes sont très présents dans la politique haïtienne de ces vingt dernières années. Dans les propos autant que dans les actes, le duvaliérisme nous imprègne et s’installent dans nos mœurs, nos pratiques et nos modes de réflexion. C’est, jusqu’à  date le régime politique le plus long (29 ans de pouvoir) qu’Haïti ait jamais connu. L’on se souviendra certainement de celui de Jean-Pierre Boyer (1776-1850), le quatrième président d’Haïti (ayant passé 25 ans au pouvoir et dirigé l’île entière pendant 21 ans).

Partant du principe aristotélicien qui conçoit la politique comme « l’agir humain en communauté », donc dans la cité et que ce qu’on appelle cité, c’est-à-dire, la « communauté politique », elle vise donc un bien et une fin suprême, laquelle se définit par l’autarcie (l’autosuffisance), le bonheur et le bien-vivre, l’on est en droit de comprendre que Duvalier n’a su utiliser la politique que pour atteindre ses propres fins. C’est un politicien madré et astucieux comme on en voit de nos jours, qui sait profiter de toutes les opportunités, toutes les occasions pour tourner les situations en sa faveur. Il est certes doué de dialogue, de persuasion mais n’est pas, à proprement parler, un  « être politique » au sens que le définit Hannah Arendt, parce que son pouvoir ne repose que sur la force et la violence. Des méthodes pré-politiques caractérisant la vie hors de la cité.

 Un grand classique

En 390 pages, Wien Weibert Arthus nous montre que tout l’objectif de François Duvalier, dans ses prises de décisions ne se résume qu’à une seule chose : la conservation du pouvoir. Voilà pourquoi il utilise « l’emprisonnement, l’exil et l’assassinat » pour asseoir son hégémonie et, du coup, créer une situation de panique et de peur généralisée au sein de la population. Sans oublier cette « propagande sur son statut d’être mystique, détenteur d’une mission divine qu’il se doit d’assumer seul, sans partage » (p. 74). D’où tout son cynisme. Selon l’auteur, les instruments de la diplomatie de Duvalier ne sont autres que la corruption, la propagande, l’espionnage, les « tontons-macoutes », le communisme, certaines décisions d’ordre utilitaire aux fins personnelles, entre autres la création de l’École nationale des hautes études internationales (Enhei) qui deviendra plus tard l’Inaghei (Institut nationale de gestion et des hautes études internationales), le populisme, mais surtout son choix de ne faire aucun voyage à l’étranger.

Lire l’ouvrage de Wien Weibert Arthus a été pour moi un immense plaisir. Il est d’une grande cohérence, et se lit sans fatigue aucune. Il est aussi d’une « grande valeur scientifique », comme le souligne le professeur Victor Benoît dans sa postface. J’ai pu comprendre deux choses : 1) en plus d’être démagogue, opportuniste, Duvalier est aussi un grand stratège, un homme fort et puissant, grand calculateur et manipulateur ; 2) que depuis François Duvalier jusqu’à nos jours, pas un seul de nos gouvernements, dirigeants politiques et tous ceux qui ont servi au niveau de l’État n’ont daigné placer les intérêts supérieurs de la nation à qui ils vouent toujours un amour sans borne au-dessus de leurs intérêts particuliers, de groupes ou de classes.

Vraiment, un classique à découvrir !

Dieulermesson Petit Frere

Wien Weibert Arthus, Duvalier à l’ombre de la guerre froide. Les dessous de la politique étrangère d’Haïti (1957-1963), Port-au-Prince, Imprimeur II, 2014, 390 pages.

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dpetitfrere

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