Crédit: © D. Petit Frère

Aux Cayes au crépuscule

Ce texte rédigé il y a onze ans, revient sur un voyage dans le sud d’Haïti en compagnie de mes ami.e.s Wébert Charles, Mirline Pierre et Carolyn Shread après notre participation au colloque de l’Association des études haïtiennes (Haitian studies association) à l’hôtel Karibe à Juvénat en 2013.

Nous sommes le 11 novembre. 17h 25 minutes. La nuit tombe déjà sur Port-au-Prince. Nous entrons dans le chant du crépuscule. Le soleil se perd derrière l’horizon. L’air est lourd. La respiration un peu difficile. Une petite brise fine caresse nos fronts. Des gouttelettes de pluie se dessinent sur la vitre du 4×4 qui nous emmène dans la cité d’Antoine Simon. La chaussée est toute arrosée de cette eau du ciel.

L’odeur de la terre monte jusqu’à nos narines. Je mets le climatiseur en marche. L’air devient léger. La voix de Théodore Beaubrun Junior nous remplit les oreilles. Il chante Nou pa p sa bliye. Morceau tiré de Vodou adjae, le tout premier album de Boukman Eksperyans des années 1990. Ah, oui la belle époque ! Cette chanson prend le contre-pied d’une tendance qui fait croire que la musique vaudoue doit être jetée à la poubelle parce qu’elle n’a rien de beau et d’haïtien. Elle se veut une forme de valorisation de cette musique qui, selon le chanteur, fait la fierté des Haïtiens et met en relief toute la richesse et la beauté de notre culture de peuple.

Dehors, il pleut de plus en plus. Il fait frais à l’intérieur. La voiture se lance à vive allure sur la nationale #2, parmi ces arbres qui bordent les deux côtés de la route.

18h30. Nous venons de quitter Léogane–la cité de la reine Anacaona. Nous sommes quatre à prendre la route. Pour Carolyn, qui vient de si loin, il s’agit de laisser les quatre murs de cette chambre d’hôtel qu’elle occupait depuis cinq jours. Partir à la découverte de ce pays qu’elle n’a connu que dans les livres et faire des provisions d’images pour ses prochains cours à Mount Holyoke College est-ce qu’il y a de plus intéressant. Wébert et Mirline sont tout excités de faire ce long voyage au bout de la nuit qui doit nous conduire sur la côte sud. La lune devant nous, le ciel sur nos têtes. Nous laissons le bruit assourdissant de la capitale avec ses détritus. Ses eaux usées sur la chaussée, son soleil suffocant et ses rues toutes grouillantes de monde.

Une vue du jardin botanique. © D. Petit Frère

Nous sommes plus qu’heureux de goûter à la félicité de la nature. Cette verdure qui nous entoure. Nous pensons tout de suite à Dalembert qui affirme que les dieux voyagent la nuit. Oui, c’est ce que nous, des dieux. Et nous sommes si contents aussi de contempler l’autre face de la mer.

Une ville, une histoire

Située à environ 190 kilomètres de la capitale, la ville des Cayes jouit d’un passé historique enrichissant. Elle a été le théâtre de plusieurs évènements marquant entre autres l’hospitalité accordée en 1816 à Simon Bolivar qui prépara, avec l’aide d’Alexandre Pétion, une expédition dont le succès a entraîné la liquidation du régime colonial espagnol, d’abord au Venezuela puis dans l’Amérique du Sud, la révolution des Cacos de 1869 à 1870, et le drame de Marchaterre survenu le 6 décembre 1929.

Avec un climat relativement chaud, Cayes est une ville côtière. Sur le plan administratif, la commune est subdivisée en six sections communales : Bourdet, Fonfrède, Laborde, Laurent, Mercy et Boulmier. Elle a au moins 10 habitations et 93 localités. La fête de leur saint patron, Notre-Dame de l’Assomption, est célébrée chaque année le 15 août.  

Dénommée autrefois Plaine du Fond ou Plaine du Fond des Cayes, le tracé de la ville date de 1786. C’est sur cet emplacement qu’avait été bâtie la ville espagnole de Salvatierra de la Zabana (Terre sauvée des eaux) fondée en 1503 par Nicolas Ovando. En 2003, elle a fêté ses 500 ans de fondation. Il y a quatre centres universitaires pour tout le département, 2 écoles publiques (les lycées Philippe Guerrier et Claudy Museau) et près d’une vingtaine d’écoles privées.

Parmi les personnalités issues de la ville, on peut mentionner André Rigaud et Nicolas Geffrard, tous deux généraux de la Révolution haïtienne, Charles Hérard Ainé, connu sous le nom de Rivière Hérard, Lysius Félicité Salomon Jeune, Boisrond Canal et Antoine Simon, tous anciens présidents d’Haïti. Retenons également le nom d’Émeric Bergeaud, auteur du premier roman de la littérature haïtienne (Stella, 1859), Horace Pauléus Sannon historien et diplomate et Achille Othello Bayard Louis, musicien et compositeur de la chanson Haïti Chérie.

Livre, culture et patrimoine

Aux Cayes, les gens accordent une place assez importante à la culture. Même s’il n’existe qu’un seul centre culturel – le centre culturel de Saint-Louis – et d’autres institutions comme l’Alliance française, le bureau du Volontariat pour le développement d’Haïti (VDH), ou certaines institutions d’enseignement privé organisent constamment des activités culturelles au profit des jeunes de la ville et de ses environs. Le livre, en dépit du manque de bibliothèques, a pu, tout de même, occuper le quotidien de bon nombre de jeunes que nous avons rencontrés.

Au cours d’une rencontre très passionnante autour du livre et de la lecture avec des élèves du Complexe d’éducation moderne le mardi 12 novembre, nous avons été épatés par cette soif de savoir et de découverte qui habitait ces écoliers. Les rédactrices de la revue Legs et Littérature, Carolyn Shread et Mirline Pierre en ont profité pour parler de leurs expériences de lecture, leur rapport avec le livre et l’écriture et les avantages qu’on peut tirer de cet exercice qui n’est pas du tout vain dans la formation de tout écrivain.

Nous avons marché dans la ville, visité des sites historiques. Du fort de l’Islet à la Croix des Martyrs, de la Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption à la maison d’Antoine Simon jusqu’à la plage de Gelée. Nous étions devant la mer à « contempler notre âme«  et « écouter le bruit harmonieux et cadencé des flots » pendant que notre « cœur se distrait quelquefois de sa propre rumeur au bruit de cette plainte indomptable et sauvage ».

Sur le chemin du retour, nous nous étions promis d’y revenir pour découvrir le paysage dans le clair du crépuscule.

Dieulermesson Petit Frère

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