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La légende de Marie Vieux-Chauvet

L’année 2016 amène le centenaire de la naissance de Marie Vieux-Chauvet. Romancière engagée, femme révoltée, figure de la modernité dans la littérature haïtienne, son œuvre a bousculé le paysage politique de la fin des années 1960, début 1970, et fait encore des remous dans les milieux littéraires et universitaires tant en Haïti qu’à l’étranger. Auteure de sept romans (si l’on considère sa trilogie Amour, Colère et Folie de façon séparée) et de deux pièces de théâtre (La légende des fleurs et Samba), Marie Vieux-Chauvet est à la littérature haïtienne ce que George Sand et Simone de Beauvoir sont à la France, Mary Shelley et Doris Lessing à l’Angleterre et Marie Louise Fischer et Herta Muller à l’Allemagne.

En effet, elle est cette écrivaine qui a non seulement remis l’ordre social établi en question en bravant risques et dangers, mais a aussi et surtout mis à nu les tares et les rongeurs de la société de son époque et s’est positionnée contre toutes les formes de dérive. Qu’elles soient sociales, elle a eu le courage de dénoncer l’avarice, l’hypocrisie et les préjugés de sa classe sociale, d’opter pour une forme de redistribution des richesses en mettant fin aux inégalités et injustices, – qu’elles soient politiques, en critiquant ouvertement et crûment les exactions du régime sanguinaire des Duvalier et réclament la mise en place d’un gouvernement qui se penchera sur la situation des pauvres –donc des plus démunis. La figure d’Alcindor et ses quatre enfants dans le roman Les rapaces, publié à titre posthume en 1986, en est une des preuves les plus convaincantes. La situation des paysans qui travaillaient sur le morne au Lion pour le compte de la famille Clamont dans Amour en est une autre. La légende des fleurs offre aussi un exemple similaire avec l’allégorie construite autour des fleurs. Question de faire ressortir la haine, l’hypocrisie des humains à travers la figure de la violette, laquelle se trouve méprisée, incomprise et rejetée par les autres fleurs, semblables..

Femme éclairée, libérée et émancipée, avec un goût particulier pour la vie mondaine sans pour autant tomber dans un féminisme débridé et à bon marché, elle a révisé, tant dans sa vie que dans ses récits, le statut de la femme en lui attribuant des rôles et des qualités qui sortent de la vie ordinaire. En même temps qu’elle a su créer et imposer sa voix comme femme-écrivain pour l’émergence d’une littérature féminine d’Haïti. Ainsi, la figure de la femme, autant comme personnage romanesque que comme personnage physique, a considérablement évolué. De victime passive, soumise et dépendante, elle gagne une certaine indépendance et devient peu à peu libre, maîtresse de ses idées, ses actes et de sa vie, donc une personne à part entière dont l’existence ne tient pas à la présence d’un tiers.

Qu’il s’agisse de Lotus face au mensonge et la haine des uns et des autres (Fille d’Haïti), Minette face aux préjugés de couleur dans la colonie (La danse sur le volcan), Anette contre les faux-semblants d’une frange sociale et, dans une certaine mesure, Claire face à l’éducation qu’elle a reçue (Amour), Marie-Ange (Fonds-des-Nègres) et Anne (Les rapaces) face à la cruauté des « hommes en noir », ce sont toutes des personnages qui ont su s’assumer et assumer la mission que le destin leur avait confiée. Comme on en a vu avec Nadine Magloire dans Autopsie in vivo et Le sexe mythique à travers le personnage d’Annie. Ces femmes-personnages sont toutes allés à contre-courant des idées reçues et préconçues d’une société qui ne digère pas la tolérance et l’amour de l’autre, voire l’amour de soi. Une société autodestructrice.

Marie Vieux-Chauvet est donc un écrivain engagé. Son engagement est autant politique que littéraire, car avec elle l’on voit inaugurer l’ère du roman moderne en Haïti. Même si certains de ses romans (dont Fille d’Haïti, Amour, Folie) adoptent une perspective narrative (si l’on tient compte des effets de distance, donc le type de discours) qui fait du narrateur un élément du récit (l’instance et la voix narratives et les fonctions du narrateur), l’on retiendra finalement que c’est une conscience qui parle. Il est vrai que, dans son cas, le texte ne renvoie pas qu’à lui-même, et que l’action n’est pas celle des mots les uns sur les autres comme ce fut le cas avec le Nouveau Roman, il y a toutefois cette tentative de « rechercher à atteindre une vérité psychologique évanescente […] » à la Marguerite Duras, Sarraute et Marie NDiaye. En dépit de l’absence de personnes grammaticales sans identité stable due à son attachement au récit traditionnel et cette incapacité de porter son écriture romanesque à assumer, pour reprendre Michel Butor (essai sur le roman, p. 21) à « recueillir tout l’héritage de l’ancienne poésie ».

 

Dieulermesson Petit Frère

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