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Ces journalistes qui ne lisent pas

La lecture est une amitié.

Marcel Proust, Sur la lecture.

J’ai écouté récemment sur les ondes d’une station de radio de la capitale, un long reportage sur une forme de relation amoureuse engageant des adolescentes (de 19 à 30 ans) et des personnes d’âge mûr (des quinquagénaires et sexagénaires). Cela m’a porté à réfléchir sur le drame de notre société. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, et nous sommes tous censés être au courant des causes de cette situation, ou plutôt de ce phénomène qui a pignon sur rue dans le pays ces dernières années. Point n’est besoin de nous attarder sur les notions de valeur, d’amour ou quoi que ce soit d’autre. Non, la plupart du temps, il s’agit d’une sorte de commerce sexuel – vu le côté purement économique de l’affaire. L’un est en quête de fraîcheur, l’autre cherche à gérer son quotidien.

Cependant, ce qui a le plus retenu mon attention dans ce dossier, c’est quand le journaliste a dit que « cette réalité qui ne date pas d’hier mais dont personne n’a osé en parler a été finalement mise sur le tapis ». Une phrase lâchée vaguement, comme un pet, dans laquelle les conclusions sont faciles et toutes faites retrouvées dans les copies de dissertation du bac et qui me porte encore plus à réfléchir sur le sens et l’importance de la lecture. L’on sait très bien que le travail du journaliste qui se définit de plus en plus comme un « directeur d’opinion » –c’est d’ailleurs avec beaucoup d’orgueil et de fracas que l’expression résonne de nos jours sur les ondes– ne diffère pas trop de celui de l’enseignant ou de l’éducateur appelé à formater les esprits. Comment diable peut-on être directeur d’opinion et ne pas (savoir) lire ? Comment peut-on vouloir bien traiter un sujet (qu’il soit banal, trivial ou pas) sans avoir pris le temps de fouiner dans les bibliothèques ou auprès des tierces pour se documenter ? À quoi servent les médias de nos jours ou plutôt comment devient-on journaliste en Haïti par ces temps qui courent? Cela vaut autant pour la fonction ou le métier de parlementaire, de pasteur, d’enseignant, ministre ou tout autre titre autrefois honorifique envahi de nos jours par une bande de racailles et de médiocres arrogants.

C’est que nous sommes tellement envahis par le syndrome du « Fast Food », tellement rongés par le virus de la facilité, de la médiocrité et de la paresse, nous ne faisons plus usage du bon sens et de la réflexion. Trop pressés de goûter aux délices du sensationnalisme, de profiter d’une campagne de popularisation, nous oublions ou négligeons souvent les petits détails qui auraient pu rendre nos créations plus viables, sérieuses et plus élégantes.

À vrai dire, ce phénomène ou cette réalité à savoir « cette prétendue relation amoureuse qui n’est autre que du commerce sexuel » qui défraie la chronique n’a pas laissé indifférents les écrivains. Ceux d’ailleurs autant que ceux de chez nous. La littérature française du dix-neuvième siècle abonde d’exemples. Citons entre autres les cas de Marguerite Gautier et ses relations avec le duc de Mauriac, le comte de Varville et le comte de Giray dans La dame aux Camélias d’Alexandre Dumas Fils; les liaisons de Manon Lescault avec M. de B…, M. de G… M… dans Manon Lescault de l’Abbé Prévost; les liaisons dangereuses de Madeleine Forestier avec le duc de Vaudrec et le député Laroche-Mathieu dans Bel-Ami de Guy de Maupassant.

Chez nous, dès la seconde moitié du vingtième siècle, la romancière de talent, Marie Vieux-Chauvet a soulevé la question dans La danse sur le volcan , sorte de roman historique qui revient sur la colonisation française à Saint-Domingue. Dans ce roman, Bouche-en-cœur représente le prototype de ces filles qui se donnent à cœur joie à ces hommes âgés pour sauver le quotidien. Voulant toujours être bien parée, elle ne fait qu’avec les hommes de bonne position comme les marquis, les hauts placés du gouvernement ou des hauts-gradés.

Plus près de nous, Kettly Mars, dans Aux frontière de la soif revient en filigrane sur la question mais en soulève un autre aspect. Il est vrai que c’est plutôt le proxénétisme qui apparaît à première vue, mais en arrière-plan, des petites filles –à peine pubères–, coincés dans ce camp à Canaan, se livrent dans ce commerce avec des hommes âgés pour survivre. C’est plutôt Évains Wêche qui, avec Les brasseurs de la ville , à travers son héroïne Babette, a traité, de fond en comble, le sujet. Âgée seulement de dix-sept ans, elle se jette dans les bras d’Erikson, homme marié, dans la cinquantaine, dans l’espoir de changer sa situation et celle de sa famille. Wêche aura donc, jusqu’à date, écrit le plus beau roman sur cette réalité.

Et si nos journalistes prenaient le temps de lire?

Dieulermesson PETIT FRERE

 

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