Le mot « sexe » n’existe (presque) pas ou plus dans la littérature haïtienne. C’est Dany Laferrière qui a eu l’heureuse audace de souligner dans son Journal d’un écrivain en pyjama qu’« écrire le sexe, c’est parfois mieux que le faire » ( p. 164). Mis à part quelques flirts dispersés çà et là dans quelques paragraphes ou une page tout au plus dans une œuvre, tout le reste n’est autre que des histoires de bonne compagnie. Comme si parler de sexe ou décrire des scènes érotiques relevait d’un péché capital, voire mortel. Qu’il faudrait alors se préserver des flammes de l’enfer ! Moralisme oblige. Quel écrivain haïtien prendrait le risque de mettre en scène un héros ou une héroïne se vautrant dans la luxure ?
Robert Desnos écrit dans De l’érotisme que « l’œuvre de Sade a révolutionné la littérature érotique autant que la littérature en général » (p. 98). Ici, nous vivons dans une société où les mythes et les tabous ont la vie dure. Ce qui fait que des questions liées à l’homosexualité, l’androgynie, l’inceste sont considérées comme une « boîte de Pandore ». Or, l’amour qui nous fait vibrer aujourd’hui et que nous revendiquons avec la liberté de nos actes comme prétexte est celui que formule Sade dès la première Justine et qui, avec Les liaisons dangereuses de Laclos, La religieuse ou Les bijoux indiscrets de Diderot et les Lettres portugaises de Guilleragues d’une part, Les confessions de Rousseau d’autre part, « constitue le point de départ de toutes les œuvres d’ordre purement amoureux » (Desnos, p. 94).
Il est dit que le 1929 d’Aragon et de Péret est une preuve que l’amour fou surréaliste prenait parfois les formes les plus crues. Que dire de Le sexe mythique (1975) de Nadine Magloire et Alléluia pour une femme-jardin (1981) de René Depestre , deux œuvres qui furent les premières à se détacher de la pudibonderie amoureuse de l’époque duvaliériste ? Même si la palme revient à Jacques Stephen Alexis (L’espace d’un cillement, 1959), Marie Vieux-Chauvet (Amour, Colère et Folie, 1968), les premiers à avoir mis sous nos yeux, quoiqu’en filigrane, la description de scènes érotiques.
Il ne fait pas de doute que la littérature a une influence sur les mœurs. Car elle « doit signaler quelque chose, différent de son contenu et de sa forme individuelle, et qui est sa propre clôture » (Barthes) parce qu’utilisant « le langage (qui) lui-même est un fait social » (Escarpit). Impossible à l’heure actuelle de faire un état des lieux de la littérature érotique en Haïti, puisqu’elle n’existe pas encore. Même si Kettly Mars est, jusqu’ici, la seule écrivaine à avoir mis dans ses romans une « imbrication du désir ».
Quel écrivain haïtien écrira le premier grand roman de l’homosexualité ?
Dieulermesson PETIT FRERE
Commentaires